Sunday, May 30, 2010

Miss Maggie

Maggie Smith, Dame de la Couronne d'Angleterre, est aussi une comédienne de théâtre et de cinéma depuis 1952. C'est rare.

Je n'ai pas vu tous ses films, loin de là, et je ne l'ai jamais vu sur une scène ; je la croise de temps en temps dans un second rôle ; elle a l'air d'avoir toujours été vieille, un peu pincée, un peu revêche, un peu old England. Ainsi dans A Room with a View (1985) ou dans Gosford Park (2001) : une vieille connaissance qu'on tâche d'éviter, pétrie de bonnes manières et de mauvaises habitudes. Or, au lieu de se spécialiser dans ce genre de rôle (en gros, l'aristocrate BBC), Maggie Smith apparaît dans des films hétéroclites, parfois mauvais, parfois pour deux scènes ; et à chaque fois, par masochisme ou par talent, elle semble chercher le rôle ingrat. Dans Sister Act, la pauvre mère supérieure n'est vraiment pas à la page, elle qui est seule à s'opposer au phénomène Woopy Goldberg ; dans l'adaptation d'Harry Potter, Minerva McGonagall arbore son air sévère et intraitable ; sa voix haut perchée pétrifie les élèves qui traînent dans les couloirs.

Non, décidément, elle n'est pas commode, Maggie Smith. Ce n'est pas nouveau. Déjà dans Clash of the Titans (1981), elle incarnait Thetis, déesse aux colères redoutables, qui désobéit à Zeus (Laurence Olivier) et se venge sur le héros Persée. Dans Othello (1965) on la choisit pour être Desdémone (déjà face à Laurence Olivier, autre crieur mémorable). Elle a le port stable, l'oeil profond, la voix forte et grave. On ne se risquerait pas à l'interrompre.

Et puis il y a son film. Le film où elle n'apparaît ni en mère supérieure, ni en tante aigrie, ni en professeur de transfiguration, mais en professeur tout court, et surtout, pour une fois, en personnage principal. C'était la première fois que je la voyais autant, ce fut comme une récompense. Le titre : The Prime of Miss Jean Brodie (1968).

Elle qui ailleurs a le plus aristocratique et le plus londonien des accents adopte ici la parlure d'une enseignante d'Edinburgh. Elle est jeune, gracieuse, infiniment ravissante dans ses robes colorées, pleine de gestes délicieux, de rires, de tournures de phrase qui ne sont qu'à elle. Tout le monde, à l'institut pour jeunes filles "Marcia Blaine", adore Miss Brodie, il est impossible de ne pas l'adorer, de ne pas la vénérer. Elle a entièrement voué son existence à son métier, à "ses filles", et elle explore avec elles toutes les strates possibles de l'enseignement ; comment ne la suivrait-on pas partout ?

C'est donc une héroïne, une vraie. Un détail cependant, assez vite, embarrasse le spectateur postmoderne : Miss Brodie est folle de "Benito Mussolini", dont elle n'a pas de mots assez forts pour décrire les exploits. Mauvais choix. Elle en régale un peu trop souvent ses petites élèves. On hésite quelques temps à lui passer cette incartade, mais on sent bien, puisqu'on est en 1932 puis en 33 puis en 36, que ce ne sera pas sans conséquence.

Miss Brodie est donc le parfait exemple de la fausse héroïne ; celle à qui on offrirait le monde, et qui en réalité a entièrement tort. L'exemple parfait, aussi, du rôle impossible à jouer ; car il s'agit de susciter, au fur et à mesure que le film progresse, un véritable conflit dans la conscience du spectateur, entre son amour infini pour cette maîtresse d'école idéale et son horreur devant cette fasciste convaincue. Maggie Smith donne de sa voix et de son regard pour camper une Jean Brodie sans peur et sans reproche, absolument sincère et en même temps beaucoup trop fière d'elle-même. Autour d'elle, tout le monde se laisse prendre, hormis la pauvre directrice qui n'a aucun moyen valable de l'exclure. La séquence de la lettre, qui marque l'apogée de cette attitude triomphante, est aussi un sommet dans l'art de Maggie Smith :


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