Tuesday, June 1, 2010

Little Joe




Il s'en passait des choses dans les années 60, on n'a plus idée. Dans notre explosion de la "bulle internet" et nos licences pornographiques généralisées, on se croit un peu trop vite dédouané de toute pudeur ; mais aucun pénis n'apparaîtra dans un film américain avant encore plusieurs années, plusieurs décennies peut-être : trop shoking. On a le droit de tout vendre et de tout montrer, mais on ne juge pas moins ceux qui achètent et qui regardent.

Heureusement dans les années 60, et pour toujours, il y a eu Joe Dallesandro. Ah ! Joe Dallesandro... Dans les films plus ou moins bricolés qu'il tourne sous la direction de Paul Morrissey, avec Warhol à la production, Joe Dallesandro explose de masculinité, d'impudeur, de naturel, de naïveté simple et belle. "A wonderful actor who forever changed male sexuality on the screen", a dit John Waters. Difficile en effet de ne pas se sentir remué par les premières images de Flesh (1968), où l'on surprend Joe endormi, nu sur le ventre, plein de sa silhouette impeccable. Immanquablement, on veut en savoir plus (ce qui ne tarde pas à arriver). Par la suite, il faut le reste du film pour se remettre d'un tel spectacle ; le petit Joe (je n'ai pas la taille exacte, mais il est petit) n'en finit pas de se montrer, de se livrer à la caméra sous toutes ses coutures. C'est délicieux.

L'avantage (contrairement au reste de sa carrière), c'est que ces films ont quelque chose à dire. Le montage "staccato" de Flesh suggère l'idée d'un film interdit, pris sur le vif et montré à la va-vite ; un film qui est la transgression même. Par la suite, Trash (1970) et Heat (1972) jouent sur d'autres registres, d'autres tabous, d'autres plaisirs : la drogue à haute consommation, la pulsion sexuelle pathétique. Joe Dallesandro passe à travers ces scripts avec la même présence, le même corps incroyable ; ses cheveux s'allongent, mais c'est toujours lui, minimal dans son jeu d'acteur et confondant de naturel. Les lieux de tournage alternent aussi : New York (Flesh), San Francisco (Trash), Los Angeles (Heat). L'idée semble être de passer en revue les différents vices de l'Amérique : prostitution, drogue, fame. De ce point de vue, si Flesh est le plus alléchant des trois films en termes de "dallesandrisme", Heat a quelque chose d'irrésistible dans son propos : on y rencontre une star(lette) vieillissante, pleine d'argent et d'orgueil ; elle offre un contraste pitoyable, par ses seins tombants et sa coiffure rehaussée, avec le bombesque Joe qui sans rien faire allume tout le monde. On voit se tramer des jeux d'influence ("I'll introduce you to everybody" : phrase emblématique de l'univers hollywoodien), mais qui ne fonctionnent pas vraiment. Et finalement, on clapote dans une atmosphère rance, faite de frustrations et d'amour-propre ; ces personnages sont odieux, égoïstes, cruels ; il ne faut rien espérer de gratuit.

C'est bien le problème de Joe dans ces trois films : il n'a pas d'argent, il n'a que son corps et sa belle gueule, dans un monde où tout se paye. Dans chaque film, le besoin d'argent est lié à une motivation particulière : dans Flesh, Joe est marié et a un bébé ; dans Heat, c'est un acteur sur le retour, qui tente une reconversion dans la chanson et en attendant doit survivre à Hollywood ; enfin dans Trash, il est toxicomane : intéressant, car c'est le sort qui sera réservé à Dallesandro lui-même dans la suite de sa vie. On voit se profiler dans ce film la difficulté, le cercle vicieux qu'éprouvera l'acteur : son seul intérêt (se shooter) le rend amorphe, son corps ne réagit plus ; il perd sa "virilité", et ainsi son savoir-faire de gigolo est mis en péril. À lui tout seul, il est un symbole de la dérive et de la plongée en enfer des années 70.

No comments:

Post a Comment