Thursday, June 10, 2010

Deus ex machina

Ma période Maggie Smith me fait faire des folies : ainsi Tea with Mussolini (1999), petit conte un peu trop mignon de Franco Zeffirelli. Maggie Smith y fait merveille en veuve d'ambassadeur et plus grande dame de Grande-Bretagne. Si l'histoire fait sourire (comment un groupe de ladies folles de l'Italie se trouvent embringuées dans la guerre et finissent en héroïnes protectrices du patrimoine), les actrices sont délicieuses : Cher, Judi Dench, Joan Plowright. Mais le plus intéressant, dans ce film, c'est le traitement accordé au rôle-titre. Il n'est jamais facile de faire apparaître un personnage historique au milieu d'une fiction ; c'est encore plus corsé lorsque celui-ci est l'un des trois grands dictateurs du siècle : comment éviter le piège d'irréalisme ? Comment ne pas tomber soit dans la caricature (Chaplin dans Le dictateur) soit dans la performance d'acteur (Bruno Ganz dans Der Untergang - La Chute), soit plus simplement dans l'audace ratée (Martin Wuttke dans Inglorious Basterds).

Le problème est peut-être plus aigu avec Mussolini qu'avec Hitler, l'un étant clairement diabolique, l'autre plutôt gros, chauve, un peu ridicule et supposé fascinant. Or dans Tea with Mussolini, tout cela est évoqué, mais on n'a pourtant pas l'impression d'un personnage grotesque ou caricatural. Il n'est d'ailleurs pas question de faire un véritable personnage de cet homme : il n'a qu'une scène et deux phrases. Le "thé" en question, cependant, est d'importance : Lady Hester, veuve d'ambassadeur (je me répète moins qu'elle sur le sujet), se rend personnellement à Rome pour faire connaître au Duce le traitement infligés aux Anglais par la milice fasciste (des anarchistes, selon elle). Son hôte, qui alors a toute sa sympathie, lui offre un thé en signe de bienveillance ; on prend une photo, et la chose est faite : Lady Hester a obtenu "l'immunité diplomatique". Par la suite, on revoit plusieurs fois cette photo, encadrée et conservée comme un talisman par sa propriétaire, qui se croit ainsi délivrée de l'histoire, de la guerre, du fascisme ; au contraire, elle a été flouée par un dictateur. Mussolini évidemment ne lève pas le moindre petit doigt en faveur des Anglais, et la guerre qui se précipite sur l'Italie entraîne le petit groupe dans la tourmente. On garde donc de cette apparition fugace du Duce une seule impression : c'est un menteur.



La chose est moins claire, et d'autant mieux traitée, dans Amarcord (1973) : l'histoire d'un petit village dont se souvient Fellini pour y avoir vécu son adolescence dans les années 30. On ne verra jamais apparaître Mussolini, et pourtant deux scènes emblématiques sont censées se produire en sa présence : d'abord une grande "fête du peuple" qui tourne au carnaval, et qui devient si délirante que tout le monde en oublie sa déception de ne pas l'avoir aperçu (il était sûrement là quelque part, il n'était juste pas facile à distinguer) ; puis une sorte de cérémonie nautique où tout le village se réunit sur la mer (Adriatique je crois bien) pour guetter le passage du Duce sur son paquebot : et là encore, il ne faudra pas espérer la moindre apparition de sa part. Le personnage qui occupe tous les esprits est donc relayé au statut de fantasme collectif. En spectateur éclairé, on comprend qu'il est naïf de croire en sa présence réelle, que cet amour pour le Duce est une chimère, un palliatif, un vice, qu'enfin, là encore, cette dictature est fondée sur le mensonge.

Le traitement du sacré dans Amarcord traduit le besoin qu'ont les villageois de s'identifier à ce chef absent : les comportements individuels sont trop épars, la cohésion religieuse ne suffit plus à donner un souffle unitaire à cette société ; le film s'ouvre et se ferme sur le retour du printemps, seul vestige cultuel encore capable d'émouvoir tout le monde. Pour le reste, la sexualité, l'honneur et la difficulté de vivre ensemble encombrent les esprits ; Dieu n'offre pas le secours suffisant. Pourquoi donc ne pas prendre un homme réel et en faire un dieu. La Gradisca, cette sulfureuse diva du pauvre, trouve ainsi sa raison de vivre dans le Duce, qui résume à la fois sa fierté de madone et sa libido ravageuse.


Cette divinisation du politique est encore plus
inquiétante dans Le jardin des Finzi-Contini (1970). Comme dans Tea with Mussolini, il est question d'un groupe de privilégiés et de leur sort sous le fascisme ; sauf qu'ici ce ne sont pas des Anglaises (ce qui ne porte pas vraiment à conséquence) mais des juifs. Le parti pris de ne rien livrer de l'histoire officielle rend l'avancée du fascisme plus mystérieuse, plus impalpable : les personnages ne voient rien venir, et le spectateur à qui on ne donne aucun repère voit lui aussi l'étau se refermer, brutal et implacable. La cause du malheur, dès lors, n'est pas Mussolini mais cette progression irrésistible de la tragédie, selon des forces qui échappent aux pauvres humains. Les projets de vie, et en particulier de mariage, se trouvent brusquement interrompus par une logique qui a pris le pas sur la leur ; et ce jardin, qui représentait pour le héros un Éden à conquérir, est finalement abandonné, vidé de ses habitants et de sa sacralité ; une autre force, dont on ne sait rien, lui a fait concurrence et l'a vaincu.


Thursday, June 3, 2010

Hashish à Marseille

Où suis-je au lieu d'être cet arbre, me dis-je.

Par bien des aspects, l'effet vécu par la consommation d'herbe s'approche des intentions recherchées dans la phénoménologie. La tentative d'absorption de Roquentin dans son bock de bière, dans La Nausée, a été écrit après une série d'altérations de l'esprit. Sartre jugeait très sérieuse la qualité de réflexion que lui permettait certaines séances d'hallucination. Mais Sartre pas seulement. Toute une certaine période des années trente à cinquante a expérimenté les conséquence sur la pensée, sur la recherche philosophique, de l'absorption des drogues. La réflexion sur la personne, sur l'individu historique contemporain, s'est vue gratifiée d'un double éclaircissement : d'un côté, on comprenait que la clarté de l'esprit pouvait aller jusqu'à une considération sur soi-même, chose que la phénoménologie conçoit comme nouvelle pour la philosophie ; mais de l'autre on admettait aussi le sentiment de maladresse et de ridicule qu'implique l'état "d'ébriété". Les tentatives d'écriture sur le sujet se réfèrent presque toujours à Baudelaire ; le poète avisé mais maladroit, en passage constant dans la ville et comme hors d'elle ; déséquilibre de l'idée et de l'action qui a rendu perplexe plus d'un penseur. Walter Benjamin se décrit ainsi assistant à la danse de ses plats devant le menu d'un restaurant à Marseille : sa stupéfaction n'en finit pas. Il se lève sans raison, ne sait plus où s'asseoir. Et cependant cette maladresse même a la capacité d'exister entièrement ; elle semble indiquer l'effet de défaillance de l'attention que produit la concentration de l'esprit – de l'âme dirait-il. Benjamin pour définir cet état part d'un rapprochement avec le mythe du fil d'Ariane :

"Pour commencer à résoudre l'énigme de l'extase de transe, on devrait méditer sur le fil d'Ariane. Quelle joie dans l'acte simple de dérouler une boule de fil. Et cette joie est très profondément liée à la joie de transe, comme à celle de création. On avance ; mais en avançant, non seulement on découvre les tours et les détours de la caverne, mais on goûte ce plaisir de la découverte à l'encontre de l'autre contexte, de l'autre bonheur rythmique qui déroule le fil. La certitude de dérouler une pelote parfaitement roulée – n'est-ce pas la joie de toute productivité, au moins dans la prose ? Et justement sous l'effet du hashish nous sommes des êtres-prose enchantés au plus haut degré."

Faut-il déduire de cette dernière phrase que la maîtrise et le pouvoir du langage sortent renforcées par le hashish ? La confiance qu'attache Benjamin aux joies spontanées, originales, semble ici triompher ; c'est bien une expérience originale qui se vit. Il y a un fil de pensée à retracer. Ce qui impressionne Benjamin dans la saisie d'une pensée originale, c'est justement le long chemin que cette origine a déjà devant elle, et qu'il lui faut prendre en compte pour se déclarer comme telle. L'origine d'un phénomène n'étant que de façon infinitésimale la production de notre pensée, c'est par la suite le questionnement du phénomène en question qui peut faire approcher son origine. Il n'en ressort pas un renoncement impuissant chez Benjamin, car cette origine infime et inaccessible contient beaucoup de manifestations, dont le hasard même a de la valeur. La connaissance aléatoire des origines permet une écriture en fragments ou en "moments de pensée", qui isolent chacun à leur tour une partie du fil. Il en ressort l'espoir que l'origine retrouvée puisse influer sur le temps présent, lui rappelle la vibration particulière de son existence finie et crée un temps "messianique" car transformé par sa réapparition. Le temps messianique pour Benjamin n'est pas un temps tellement différent du notre. "Mais un temps un peu différent." Un temps, semble-t-il, où s'accomplirait en permanence l'éveil de l'esprit sur son propre éveil, la conscience de l'origine de la conscience. À voir.

Wednesday, June 2, 2010

Bien joué


Plongé en ce moment dans la (délicieuse) lecture d'Howards End d'E.M. Forster (publié en 1910), je repense à la (non moins délicieuse) performance d'Emma Thompson en Margaret dans l'adaptation de Merchant-Ivory (Howards End, 1992). Déjà sans avoir lu le livre je m'étais dit : elle est parfaite ; maintenant que cette Margaret de papier se superpose à celle que j'avais en tête, mon opinion se confirme : elle était parfaite.

Pourquoi ? Margaret Schlegel est un
personnage difficile : elle a 29 ans,
n'est pas très belle mais a plus d'intelligence que la plupart des gens de son âge ; elle commet des erreurs de jugement dues à sa trop bonne éducation, elle se laisse emporter par sa vivacité, sa bonne humeur, sa bienveillance. Surtout, et c'est là que réside le bon choix de casting, elle doit apparaître entre deux âges : non pas positivement vieille fille (car alors le veuf Wilcox n'a pas de raison d'être attiré par elle), mais déjà engagée dans l'existence, expérimentée (quoi qu'elle en dise), et douée d'une certaine autorité qui lui fera, au final, acquérir Howards End. Son autorité doit paraître à la fois usurpée aux yeux des enfants, et justifiée auprès du père. Elle est donc un modèle de bonté mais aussi un modèle de fermeté. L'ambivalence se dégage complètement du jeu d'Emma Thompson, déjà grande dame par son âge, maîtrisant la gestuelle mondaine et les inflexions de voix ironiques, mais également fantasque, vive, excentrique. Une autre bonne idée est d'ailleurs de lui avoir donné comme soeur Helena Bonham Carter, folle et intimidante comme elle, quoique clairement plus jeune.

Ce qui me fait penser à d'autres bonnes idées de casting. Vaste sujet, mais dont les exemples pris au hasard apparaissent vite comme des évidences. Dans Intolerance (1916), film qui entremêle quatre périodes de l'histoire en quatre récits, la partie contemporaine met en scène une jeune fille aussitôt surnommée : "La Petite Chérie" ("The Sweet One"). Elle n'a pas de prénom, et elle est plus définie par son âge que par une identité précise. Dans ce rôle, Mae Marsh apparaît comme un choix lumineux.

La Petite Chérie ne cesse de grandir et de se confronter à la tragédie de son existence ; son innocence et sa jovialité de départ, enfantines et naïves, doivent céder le pas à une tristesse, un effroi et un désespoir trop durs pour son âge. Il fallait donc une actrice, en quelque sorte, trop jeune pour le rôle. Les costumes de petite fille du début du film lui donnent à peine treize ans ; mais dans la deuxième partie, abandonnée et privée de son enfant, elle semble avoir vieilli trop vite sous son châle de laine, elle n'a plus d'âge. Pour clore la scène des "Vestales de l'Élévation" (des femmes d'âge mûr, qui se veulent éclairées et qui décident, par vertu moderne, de confisquer les enfants aux mères de prisonniers), un carton nous dit : "Suffer, little children", et l'on comprend que sont désignés par là aussi bien la mère que son bébé, premières victimes de l'intolérance.

J'imagine donc que je considère comme un "bon choix" l'actrice qui sait suggérer et résoudre par son jeu une contradiction ou un dilemme propre à son personnage. C'est ce que fait Kim Novak avec brio dans Vertigo (1958) : d'abord froide, raide et magnifique dans son rôle d'épouse tirée à quatre épingles, elle parvient à se faire passer pour une brune un peu vulgaire, toute de passion et de (fausse) naïveté.

C'est que Kim Novak est une beauté un peu spéciale. Je ne voudrais pas être méchant mais, vue sous un certain angle, elle a ce menton un peu proéminent, ces yeux un peu vides, cette bouche inexpressive. Il n'est d'ailleurs pas donné à n'importe qui de pouvoir changer de visage par un simple changement de coiffure : il faut des traits quelques peu insignifiants, vite oubliables. Or, pour peu qu'elle perde sa blondeur idyllique, on ne se retourne plus vraiment sur cette femme dans la rue, sauf si, comme le malheureux Scottie (James Stewart), on a la mémoire persistante.

Enfin un dernier exemple me vient en tête de très bon choix de casting. Pourtant le film, lui, est assez épisodique, car très littéral : Madame Bovary (1991). Il faut un certain degré de talent pour savoir incarner ce personnage dans toute sa complexité : une femme à la fois très sévère, très froide, et finalement complètement folle, passionnée, emportée par sa fureur d'amour et de vice. Pas facile. Mais cette description semble presque aussi bien correspondre à Isabelle Huppert qu'à Emma Bovary. Peut-être faut-il connaître et "suivre" l'actrice pour apprécier pleinement ses habitudes de jeu, ses stratégies d'actrice. La folie, l'emportement, ça la connaît : elle a bâti sa carrière sur la question. Aussi on lui voit à tout moment des airs de langueur qui n'annoncent rien de bon ; on cherche à décrypter sur son visage les prémices de son hystérie. Elle sait mêler l'intelligence à l'égarement. Elle donne à ses personnages des allures de stabilité mais souligne en même temps, par de petits riens, des décalages de plus en plus graves, des glissements psychologiques irréversibles. Par un mouvement de l'épaule ou du menton, elle indique des sursauts de caractère, une violence contenue. Bien sûr, certains diront qu'elle fait toujours la même chose. C'est vrai : mais parfois ça tombe bien.


Tuesday, June 1, 2010

Little Joe




Il s'en passait des choses dans les années 60, on n'a plus idée. Dans notre explosion de la "bulle internet" et nos licences pornographiques généralisées, on se croit un peu trop vite dédouané de toute pudeur ; mais aucun pénis n'apparaîtra dans un film américain avant encore plusieurs années, plusieurs décennies peut-être : trop shoking. On a le droit de tout vendre et de tout montrer, mais on ne juge pas moins ceux qui achètent et qui regardent.

Heureusement dans les années 60, et pour toujours, il y a eu Joe Dallesandro. Ah ! Joe Dallesandro... Dans les films plus ou moins bricolés qu'il tourne sous la direction de Paul Morrissey, avec Warhol à la production, Joe Dallesandro explose de masculinité, d'impudeur, de naturel, de naïveté simple et belle. "A wonderful actor who forever changed male sexuality on the screen", a dit John Waters. Difficile en effet de ne pas se sentir remué par les premières images de Flesh (1968), où l'on surprend Joe endormi, nu sur le ventre, plein de sa silhouette impeccable. Immanquablement, on veut en savoir plus (ce qui ne tarde pas à arriver). Par la suite, il faut le reste du film pour se remettre d'un tel spectacle ; le petit Joe (je n'ai pas la taille exacte, mais il est petit) n'en finit pas de se montrer, de se livrer à la caméra sous toutes ses coutures. C'est délicieux.

L'avantage (contrairement au reste de sa carrière), c'est que ces films ont quelque chose à dire. Le montage "staccato" de Flesh suggère l'idée d'un film interdit, pris sur le vif et montré à la va-vite ; un film qui est la transgression même. Par la suite, Trash (1970) et Heat (1972) jouent sur d'autres registres, d'autres tabous, d'autres plaisirs : la drogue à haute consommation, la pulsion sexuelle pathétique. Joe Dallesandro passe à travers ces scripts avec la même présence, le même corps incroyable ; ses cheveux s'allongent, mais c'est toujours lui, minimal dans son jeu d'acteur et confondant de naturel. Les lieux de tournage alternent aussi : New York (Flesh), San Francisco (Trash), Los Angeles (Heat). L'idée semble être de passer en revue les différents vices de l'Amérique : prostitution, drogue, fame. De ce point de vue, si Flesh est le plus alléchant des trois films en termes de "dallesandrisme", Heat a quelque chose d'irrésistible dans son propos : on y rencontre une star(lette) vieillissante, pleine d'argent et d'orgueil ; elle offre un contraste pitoyable, par ses seins tombants et sa coiffure rehaussée, avec le bombesque Joe qui sans rien faire allume tout le monde. On voit se tramer des jeux d'influence ("I'll introduce you to everybody" : phrase emblématique de l'univers hollywoodien), mais qui ne fonctionnent pas vraiment. Et finalement, on clapote dans une atmosphère rance, faite de frustrations et d'amour-propre ; ces personnages sont odieux, égoïstes, cruels ; il ne faut rien espérer de gratuit.

C'est bien le problème de Joe dans ces trois films : il n'a pas d'argent, il n'a que son corps et sa belle gueule, dans un monde où tout se paye. Dans chaque film, le besoin d'argent est lié à une motivation particulière : dans Flesh, Joe est marié et a un bébé ; dans Heat, c'est un acteur sur le retour, qui tente une reconversion dans la chanson et en attendant doit survivre à Hollywood ; enfin dans Trash, il est toxicomane : intéressant, car c'est le sort qui sera réservé à Dallesandro lui-même dans la suite de sa vie. On voit se profiler dans ce film la difficulté, le cercle vicieux qu'éprouvera l'acteur : son seul intérêt (se shooter) le rend amorphe, son corps ne réagit plus ; il perd sa "virilité", et ainsi son savoir-faire de gigolo est mis en péril. À lui tout seul, il est un symbole de la dérive et de la plongée en enfer des années 70.

Sunday, May 30, 2010

Miss Maggie

Maggie Smith, Dame de la Couronne d'Angleterre, est aussi une comédienne de théâtre et de cinéma depuis 1952. C'est rare.

Je n'ai pas vu tous ses films, loin de là, et je ne l'ai jamais vu sur une scène ; je la croise de temps en temps dans un second rôle ; elle a l'air d'avoir toujours été vieille, un peu pincée, un peu revêche, un peu old England. Ainsi dans A Room with a View (1985) ou dans Gosford Park (2001) : une vieille connaissance qu'on tâche d'éviter, pétrie de bonnes manières et de mauvaises habitudes. Or, au lieu de se spécialiser dans ce genre de rôle (en gros, l'aristocrate BBC), Maggie Smith apparaît dans des films hétéroclites, parfois mauvais, parfois pour deux scènes ; et à chaque fois, par masochisme ou par talent, elle semble chercher le rôle ingrat. Dans Sister Act, la pauvre mère supérieure n'est vraiment pas à la page, elle qui est seule à s'opposer au phénomène Woopy Goldberg ; dans l'adaptation d'Harry Potter, Minerva McGonagall arbore son air sévère et intraitable ; sa voix haut perchée pétrifie les élèves qui traînent dans les couloirs.

Non, décidément, elle n'est pas commode, Maggie Smith. Ce n'est pas nouveau. Déjà dans Clash of the Titans (1981), elle incarnait Thetis, déesse aux colères redoutables, qui désobéit à Zeus (Laurence Olivier) et se venge sur le héros Persée. Dans Othello (1965) on la choisit pour être Desdémone (déjà face à Laurence Olivier, autre crieur mémorable). Elle a le port stable, l'oeil profond, la voix forte et grave. On ne se risquerait pas à l'interrompre.

Et puis il y a son film. Le film où elle n'apparaît ni en mère supérieure, ni en tante aigrie, ni en professeur de transfiguration, mais en professeur tout court, et surtout, pour une fois, en personnage principal. C'était la première fois que je la voyais autant, ce fut comme une récompense. Le titre : The Prime of Miss Jean Brodie (1968).

Elle qui ailleurs a le plus aristocratique et le plus londonien des accents adopte ici la parlure d'une enseignante d'Edinburgh. Elle est jeune, gracieuse, infiniment ravissante dans ses robes colorées, pleine de gestes délicieux, de rires, de tournures de phrase qui ne sont qu'à elle. Tout le monde, à l'institut pour jeunes filles "Marcia Blaine", adore Miss Brodie, il est impossible de ne pas l'adorer, de ne pas la vénérer. Elle a entièrement voué son existence à son métier, à "ses filles", et elle explore avec elles toutes les strates possibles de l'enseignement ; comment ne la suivrait-on pas partout ?

C'est donc une héroïne, une vraie. Un détail cependant, assez vite, embarrasse le spectateur postmoderne : Miss Brodie est folle de "Benito Mussolini", dont elle n'a pas de mots assez forts pour décrire les exploits. Mauvais choix. Elle en régale un peu trop souvent ses petites élèves. On hésite quelques temps à lui passer cette incartade, mais on sent bien, puisqu'on est en 1932 puis en 33 puis en 36, que ce ne sera pas sans conséquence.

Miss Brodie est donc le parfait exemple de la fausse héroïne ; celle à qui on offrirait le monde, et qui en réalité a entièrement tort. L'exemple parfait, aussi, du rôle impossible à jouer ; car il s'agit de susciter, au fur et à mesure que le film progresse, un véritable conflit dans la conscience du spectateur, entre son amour infini pour cette maîtresse d'école idéale et son horreur devant cette fasciste convaincue. Maggie Smith donne de sa voix et de son regard pour camper une Jean Brodie sans peur et sans reproche, absolument sincère et en même temps beaucoup trop fière d'elle-même. Autour d'elle, tout le monde se laisse prendre, hormis la pauvre directrice qui n'a aucun moyen valable de l'exclure. La séquence de la lettre, qui marque l'apogée de cette attitude triomphante, est aussi un sommet dans l'art de Maggie Smith :


Wednesday, May 26, 2010

Araki rit


Pour moi, le cinéma de Gregg Araki commence là : Nowhere. À l'époque il n'était pas aussi couru que maintenant de voir à l'écran à la fois du gore, des teens, du sexe, de la drogue, de l'alcool et des pulsions suicidaires. Ce fut un vrai rafraîchissement.

Mais enfin, pour plusieurs raisons, il était sans doute bon d'attendre quelques années pour en revenir à Araki. D'abord parce qu'en France, il ne faut tout de même pas espérer trop de miracles (la distribution de ses films devra attendre Mysterious Skin (2004) pour être significative) ; ensuite parce la génération décrite dans toute la première partie de sa filmographie (les années 90) mérite qu'on l'observe d'un peu loin. La "doom generation", la "génération whatever", la "fucked-up generation". Qui se souvient ? En gros, c'est la génération Kurt Cobain (ce qui ne fait finalement que quelques années, entre 92 et 95). Dieu qu'il était gonflant de vivre à cette époque ! Les boys band commençaient à exploser d'un peu partout, la "dance" esquintait les oreilles... On voyait des films comme Esprits rebelles (Dangerous Minds, 1995), on était censé admirer des stars qui ne nous disait rien ("Alliance Ethnik") et on se trouvait face à un Hollywood endormi, qui produisait les daubes comme on prévoit les cadeaux de Noël des frères et soeurs. Bref, non, c'était pas la joie. J'écoutais "Crazy" d'Aerosmith à l'époque (aujourd'hui encore d'ailleurs) et je m'amusais à me casser la voix dessus.

Du coup Araki, à l'époque, c'était mieux, parce que c'était tout ça mais avec un grand cri de rage au milieu. Dans The Doom generation (1995), deuxième film de sa trilogie apocalyptique, on perdait peut-être encore plus les pédales que dans Nowhere (qui était le troisième) : le script s'évadait dans l'irréel, les intentions narratives étaient à peine cohérentes. Il n'était pas question de raconter un joli conte américain sur la société d'aujourd'hui. Au contraire, les personnages généraient autour d'eux un chaos complet, si bien qu'on sortait complètement du réel et qu'on touchait à la fois au film d'horreur, à la science-fiction, au teen-movie et au porno. L'important étant de résumer un sentiment : le bonheur désormais impossible. C'était aussi le thème de Nowhere, et du premier film de la trilogie, Totally F***ed up (1993) ; l'idée générale que l'on retirait de ces films, c'était que "personne ne peut m'aider, parce que tout le monde est aussi perdu que moi."


Ce désespoir intégral était déjà le thème majeur de The Living End (1992), qui en parodiant le grand succès du moment (Thelma & Louise) imaginait un road-trip hors la loi entre deux séropositifs. Il y avait alors un petit espoir au fond des ténèbres : oui, on va mourir, on n'a plus rien à prouver ou à respecter ; mais on peut encore jouir l'un par l'autre, et ainsi survivre. Comme toujours dans les films d'Araki, l'un des personnages est plus raisonnable que l'autre ; les querelles et les incompréhensions rythment l'avancée de la relation ; pour se rapprocher, l'un des deux doit modifier ses convictions. Le discours de la peur, de la raison, des conséquences, ne l'emporte jamais ; c'est le révolté, le suicidaire, l'antisocial qui triomphe, bien que son triomphe se signe par la mort (aucun spoiler ici, car ni l'un ni l'autre ne meurt à la fin – oups – mais leur séropositivité les engage à mourir).





C'est bien joli, mais quelle morale dans tout ça. Je ne me posais pas vraiment la question quand j'en étais à regarder Nowhere, car la réussite formelle et le discours semi-révolutionnaire me plaisaient tels quels. Il n'y avait évidemment aucune commune mesure entre la réalité décrite dans ces films, et la réalité tout court. Je pensais qu'il fallait les voir pour leur audace. Après tout, on n'est pas souvent servi par des gens véritablement immoraux.

Mais voilà que la fucked-up generation, comme toutes les générations, a disparu. Les années 2000 sont arrivées. On n'en pouvait plus : dans l'effervescence du début de millénaire, de son réseau mondial et de ses tours écroulées, il fallait du cinéma décomplexé, affichant tout, se riant du scandale. Je n'ai rien sous la main pour étoffer cette démonstration, mais je suis à peu près sûr de moi quand même.

Ce qui marque au contraire le parcours d'Araki au tournant du siècle, c'est sans conteste une modération. Les fanfaronnades sans structure des années 90 sont terminées ; il est temps d'aborder la réalité.


La réalité, dans Mysterious Skin, n'est pourtant pas très claire : deux enfants, puis adolescents, semblent voir l'un dans l'autre comme dans un miroir, mais au centre de leur vision, un mystère résiste à leur compréhension, les empêche de grandir, leur pourrit la vie... Découvrir ce film, pour un fan d'Araki de la première heure, était sans doute déroutant ; finis les joyeux bordels : on s'attaque à Freud, on va dans les coins sombre de la sexualité (la pédophilie), on insiste sur la noirceur du monde plus que sur son hallucination. Bref, soudain, Mysterious Skin est un drame. Du coup, aucun des merveilleux artifices de mise en scène qu'on peut admirer dans les films précédents ne se retrouve ; l'atmosphère est plutôt celle du thriller pesant, et les corps sont filmés avec patience, la caméra est calme et pleine ; si le sang doit gicler, la scène se préparera d'abord une raison pour le faire ; et ainsi on progresse dans un silence chargé d'angoisse, au lieu de brûler l'angoisse dans la folie de chaque plan. Le sentiment de malaise, de réelle tristesse pour ces deux garçons amplifie, se fait plus précis et plus vrai ; on les comprend.

Cette approche nouvelle du réel se confirme dans Smiley
Face (2006), véritable bijou de comédie avec Anna Faris (mais où est-elle passée ?) en stoner. Rien de plus : le film traite entièrement et exclusivement de la weed, et de la relation dévastatrice qu'on peut entretenir avec elle. Là encore, au milieu des années 90, Araki filmerait des acteurs défoncés, mais complètement cool. En 2006, la pauvre Jane est pathétique, perdue entre ses sachets d'herbe, "waisted" à dix heures du mat : et c'est tout ce que le film nous montre. Ses délires la font beaucoup rire, mais on ne sait pas pourquoi. Le monde extérieur n'a plus rien de l'apocalypse de Nowhere : on reconnaît tout de suite le L.A. cosmopolite et moderne du vingt-et-unième siècle. Aucune raison, dans un tel contexte, d'être "totally fucked-up" ; on a tort, désormais, de fuir la société, de ne pas faire d'effort, de se laisser dériver. La morale de Smiley Face ressemble à une leçon. Mais l'ambition d'Araki est justement de suivre jusqu'au bout ce personnage de looser, d'en faire l'héroïne de son film malgré la nullité de son caractère ; n'importe qui aurait préféré suivre les aventures du personnage joué par Adam Brody, dealer magnifique et rusé ; on reste avec cette Jane qui n'a rien à faire, qui foire tout, qui est un ratage intégral. C'est ça la réalité.


Il est d'autant plus alléchant, après ce petit tour d'horizon, de voir les premières images de Kaboom, le nouveau film de Gregg Araki, hors-compétition au dernier Festival de Cannes. Car l'esthétique chamboulée qu'on y aperçoit rappelle déjà l'ambiance de Nowhere ou de The Doom Generation (sur le thème : "Ma journée est un enfer"). L'allure de Thomas Dekker ressemble à s'y méprendre à celle de Craig Gilmore dans The Living End. Les thèmes qui ont fait le cinéma d'Araki ((homo)(hétéro)(bi)sexualité, rêves, meurtre) semblent très présents ; du reste, on le présente comme une partouze généralisée (ce qui n'est pas nouveau). Il va y avoir de quoi se réjouir...

Thursday, May 20, 2010

"You wanna be on top ?"

John ce matin me faisait remarquer, avec un petit regret dans la voix : "Oh that's right : ANTM's over now..."Et en effet, le mercredi ne sera plus tout à fait comme les autres puisqu'on n'en a fini de la treizième (O.M.G.!) saison d'"America's Next Top Model". Sigh.

Mais c'est montrer bien de l'enthousiasme pour peu de chose. Les réactions des internautes face à cette septième année (une saison tous les six mois) indiquent une certaine lassitude. À bon droit : un show globalement futile, sans rigueur, mal écrit, mal structuré. Chaque épisode rivalise de mauvaises idées, de séquences inutiles, de commentaires désolants des candidates. On se réjouit chaque semaine de voir enfin partir Ren, Brenda, Aleisha, Jessica (et autres noms en -a), tandis qu'on peste contre celles qui restent, et qui ne sont pas forcément meilleures (voire franchement pires, ce qui rend la présence en demi-finale d'Alexandra, modèle en "formes", peu crédible). Les acrochages publicitaires n'en finissent pas de dégouliner de l'écran (peut-être avec un peu moins de putasserie que dans "Project Runway", mais quand même), et tout l'intérêt de la série (comme dans "Project Runway") réside dans les huit dernières minutes, quand on voit les photos de la semaine et que les juges rendent leur décision.

Quel succès, pourtant. Est-ce la personnalité de la présentatrice Tyra Banks, experte en mannequinat, pleine de verve et d'humour, complètement inattendue dans son style d'insecte géant (John pour la parodier chante "You wanna be a bug?"). On remarque aussi à voir défiler puis à suivre les profils des candidates une certaine joie et une certaine douleur à détester d'emblée ou à se prendre de pitié pour l'une d'entre elle. "La pauvre Brenda." "Cette Ren, enfin !" (deux tonalités de réaction bien différentes.) Ce qui entraîne la question : faut-il être gay ou une fille pour aimer "America's Next Top Model" ? À l'évidence toute empathie à l'égard de l'une de ces candidates est soit franchement ironique, soit oubliable dès son éviction. On finit dans cette saison sur celle qui est le plus clairment destinée à gagner, depuis longtemps et à l'exlusion de toutes les autres malgré celles qu'on sauverait (Angelea et Simone). La fameuse Crista est d'ailleurs exaspérante dans ce rôle : elle s'attribue toutes les victoires avec un rire de mauvais goût qui s'ajoute à l'arrogance de winner qu'elle développe dans les séquences d'interview.

Il y a un historique d'ANTM qui se file à travers les candidates des cycles précédents (qu'on revoit de façon complètement décousue) ; on n'y prend pas vraiment goût, mais on sent, comme me le disait John, que Tyra, elle, "she's very serious about it." À vérifier un peu le parcours de la présentatrice, on la voit en effet créer et poursuivre sa vie, sa carrière et son ambition dans ce show, quinze ans après son entrée dans "the industry". C'est elle qui donne la leçon de mode la plus effervescente, la plus agitée, la plus convaincante de tout le plateau. Les autres juges sont là pour l'admirer, non qu'ils ne se sentent admirables eux-mêmes, mais leur prestige la rende plus divine encore. L'un est l'oeil de génie, le baron de la mode chez Vogue, l'autre le plus grand mannequin des années 80 (devenu photographe et un peu laid). Ce monde de la mode qu'elle domine ainsi, qu'elle fait miroiter dans la distribution de photos qui clôt chaque émission, représente pour Tyra des quantités d'argent et de liens qu'elle s'est créées toute seule. Forte femme.

La morale, avec un peu de surprise, en sort indemne. Il y a pire. C'est agaçant surtout de voir se chamailler ces idiotes, car certaines sont idiotes. Le décorum de reality-tv n'est vraiment plus nécessaire, et n'existe que pour ça : "More drama". Chacune a son bébé à défendre ou son adolescence tourmentée à Buffalo ; on n'en sort pas. On préfère définitivement voir revenir Tyra. Et puis on passe à autre chose. Avec Louis et John, après notre épisode du mercredi soir, on enchaînait régulièrement avec Law&Order. Different style.

Wednesday, May 19, 2010

Réalisme et morts-vivants


L'affiche de Fido (2006) est déceptive ; car l'ambiance de ce film rappelle plus un Pleasanton ou un Far from Heaven qu'un Evil Dead. Les maisons alignées au bas de l'image indiquent de façon très abstraite l'univers dans lequel on va être plongé : la jolie parfaite petite banlieue américaine des années 50. Comme dans nombre de films qui exploitent les possibilités d'une temporalité historique alternative (Brazil, (Return to) The Planet of the Apes, Delicatessen...), il existe quelques petits ajustements de l'histoire dans Fido ; la prise en compte de la réalité zombie a entraîné une foule d'habitudes, de réactions, de rites et de contrats qui n'auraient aucune pertinence dans la vie réelle ; mais tout le reste est semblable à ce que furent les trente glorieuses. Le républicanisme imbécile du père, le suivisme des épouses, les politesses de voisinage... On se trouve en pleine satire.

Les années 50, qui peuvent être considérées comme agnostiques en matière de zombies, correspondent aussi au début de la longue période d'effroi qui culminera avec The Night of the Living Dead (Georges A. Romero, 1968). En tout cas, donc, il est inattendu de se faire décrire une telle période comme vivant en parfaite harmonie avec sa population zombie. Les services se multiplient autour du secteur zombie, un capitalisme optimiste et peu sourcilleux dessine déjà une société meilleure, sans dangers et sans craintes.


Zomcon, l'entreprise chargée de la gestion des zombies au sein de la communauté, est une caricature du capitalisme des temps modernes, fondé sur une bonne communication et une méthode radicale ; Zomcon a d'ores et déjà transformé cette bulle historique en une société schizophrène, offrant des zombies préalablement lobotomisés à tout un chacun ; à la fois critique de la société de consommation et dénonciation de l'apartheid social de l'époque, la présence des zombies d'abord intrigue à chaque plan, parce qu'ils sont gris (ou "en noir et blanc") sur un décor plein de couleurs. Puis on s'y habitue, puisque tout le monde dans cette charmante banlieue, mettons, californienne, semble déjà passé à autre chose.


Mais ce choix de décor est trop connu, trop vu (en tout cas en 2006) pour qu'on y croie ; ainsi le film n'a aucune intention réaliste, il s'agit entièrement d'une fable, ou d'un conte. On le sait assez vite, ce qui achève de décomplexer le film de son esthétique ; car qu'y a-t-il de plus cool que d'inclure des zombies dans un conte de fées ? De la même façon que dans Far from Heaven (2002), on voit se déliter les beaux contours de la vie de banlieue et, comme les personnages, on assiste impuissant à l'irréversible : cette jolie petite société va tourner au massacre. Un élément est assez particulier dans Fido : comme toujours dans un film de zombie, on tue des zombies et on fuit l'assaut des zombies ; mais la méticulosité du décor et la performance des acteurs, pétris de correction et de politesse (Carrie-Ann Moss en premier chef), entraînent dans une lutte quelque peu distinguée ; on tue, mais on n'en oublie pas ses manières. Au final, c'est d'ailleurs la distinction qui l'emporte, c'est-à-dire une certaine manière de faire attention à l'autre. Le mari imbu de lui-même, incapable de remarquer que sa femme est enceinte ou que son fils est intelligent, finit par devoir disparaître. Le diabolique responsable de Zomcon obtient une peine plus rude encore : il devient zombie lui-même. Par contre si on est sympa et généreux, comme l'est le petit Timmy à l'égard de son zombie Fido, rien de vraiment mal ne peut arriver. Pas très réaliste donc, mais moral.


Rien de très moral, en revanche, dans cette ode au réalisme qu'est Night of the Living Dead. On est en pleine Amérique de tous les jours : un cimetière, une ferme, une radio, une télévision, rien de plus. On suit le drame presque en temps réel (le temps d'une nuit), depuis ses premières manifestations jusqu'à sa résolution. On a presque l'impression de lire du Truman Capote.


Or le vocabulaire du film nous renseigne sur le degré de connaissance qu'on pouvait se faire du zombie ordinaire dans l'Amérique de l'époque : "These things", disent les personnages ; la radio et la télévision fournissent des descriptions plus fournies ("people have been partially devoured"), mais on sent bien une gêne, une impossibilité à appeler les choses par leur nom. Plus tard, on apprend le motif (des radiations nucléaires relâchées dans l'atmosphère et qui réveillent les morts, tout comme dans Fido), mais on n'en vient toujours pas à parler d'êtres, d'hommes ou même de morts. Quelque chose résiste à la compréhension, comme l'incarne le personnage de Barbara (Judith O'Dea), qui a vu son frère mourir sous l'attaque d'un zombie à la première scène et qui passe tout le reste du film dans une léthargie inquiétante, comme si elle cherchait à choisir son camp. Car la grande leçon de Night of the Living Dead, c'est qu'il faut à tout prix rester vivant : agir, s'organiser, tenter quelque chose. Rester vivant, par opposition à ces choses sans vie, prend un sens fort : il s'agit d'une vitalité du corps et de l'âme, une force de vie visible et efficace. Tout le contraire des réactions stéréotypées et stupides de l'Américain moyen, Harry Cooper, qui n'est plus rien sans son fusil et qui préfère rester dans son cellier (cellier = trou à rats = mort certaine) plutôt qu'aider les autres.


Malheureusement, personne n'en réchappe ; pas très moral donc. Heureusement, le dernier à mourir n'est pas atteint par les morts-vivants mais par les vivants, l'équipe de secours, venu apporter la bonne nouvelle (les zombies meurent d'une balle dans la tête). Or cette "victime collatérale" était Afro-Américain, et on était en 68. Un peu moral quand même.

Monday, May 17, 2010

Sans dieu ni maître

Dans Gods and Monsters (1998), on voyait un très vieux monsieur, interprété par Ian McKellen (dandy devant l'Éternel), se déclarer le père de Frankenstein. C'était vrai : James Whale, légende de l'Hollywood d'or des années 30, a dirigé les deux premiers (les deux seuls, selon lui) volets de la série : Frankenstein (1931) et The Bride of Frankenstein (1935) ; en revanche il n'a pas fini sa vie sénile et nymphomane comme on le voit dans Gods and Monsters, où Brendan Fraser fait les frais de son appétit sexuel proche de la psychose. En réalité, il est mort en 1957, et sans doute rien n'indiquait qu'on pouvait imaginer l'avenir de cette personne réelle sous les traits de ce vieillard à moitié fou, illuminé par son génie et perclus dans sa solitude. Les scénaristes de Gods and Monsters ont donc de l'imagination, mais pas seulement : ils ont aussi le respect des références du passé. Car un tel film n'existe évidemment qu'en hommage, pour célébrer ou ranimer la mémoire de Frankenstein ; Frankenstein, incarnation parfaite du monstre, demi-dieu détraqué et miraculeux, mélange de personne humaine et de désir d'inertie. La force de Frankenstein, c'est son désespoir : plus qu'un zombie, il souffre d'avoir été tiré de son sommeil primordial. Il n'a aucune force pour exister, et sa force ainsi ne sert qu'à détruire. De la même façon, le croupissant James Whale de Gods and Monsters ne désire rien tant que violer une dernière fois la beauté qu'il voit autour de lui ; mais juste derrière ce désir-là se trouve son envie de mourir. La frustration homosexuelle d'un vieillard, thème que l'on peut considérer comme absolument nouveau au cinéma, se dispute donc l'enjeu du film avec le désespoir de vivre, thème au contraire vieux comme le monde. C'est cette contradiction, cette monstruosité d'intentions qui donne à son film sa structure, sa progression et son intérêt.

C'est qu'un monstre comme Frankenstein, même soixante-dix ans après sa création, garde une originalité et une puissance d'incarnation peu courante. Il n'est pourtant pas plus destructeur qu'un autre ; à vrai dire le petit village allemand ou autrichien qui subit les méfaits de son passage n'est pas une grande cause de traumatisme. On est bien plus dérouté par Godzilla, pardon, "Gojira", qui en une nuit dévaste la majeure partie de Tokyo, laissant à la place un champ de ruines comme on a a vu à l'époque. C'est toute une civilisation qui meurt sous les attaques de Gojira. Il s'en développe d'ailleurs un esprit national parfois embarrassant, tant l'armée japonaise par ses envies d'être montrée, célébrée, occupe l'espace du film (un peu comme Avatar est un déploiement militaire constant). Mais on est justement dans le post-nucléaire avec Gojira, incarnation des monstruosités du passé qui peuvent à tout moment revenir ; un vieillard de village prononce son nom pour la première fois ; il faudra le croire pour se rendre à l'évidence. C'est donc un engouement général qui s'effectue autour de l'apparition de ce monstre. Une lutte unanime. La lutte n'est certainement pas unanime dans Frankenstein, même à l'occasion de cette poursuite dans les collines où les villageois dispersés et armés de feu s'égarent partout, reviennent aux mêmes endroits et se contredisent. Il n'y a dans le reste du film aucune impression d'entraide généreuse ; aucune rédemption. Comme si le surgissement du monstre signifiait déjà la perte de toute action vraiment humaine entre les autres personnages. Le monstre semble ainsi figer le temps de tendresse ou de compassion entre les personnages, que la terreur envahit toute entière. La réaction à l'apparition de Gojira se fait au contraire immédiatement dans la douleur et la compassion ; c'est tout le Japon qui souffre en une nuit. Les nuits suivantes sont des aggravations du drame, tandis qu'on se met à découvrir la solution, plus noire encore que le danger. La douleur, et par la suite le désespoir d'accepter la mort, qui fondent la philosophie de ce Gojira (1954), sont des éléments pour ainsi dire impossibles dans Frankenstein ; le monstre n'a aucune intention de s'habituer à sa mort vivante, son état de mort n'est pas acceptable ; sa douleur est insondable, et on sent bien qu'il cherche à comprendre ce qui lui arrive : on s'identifie donc. On ne s'identifie de toute façon pas avec Gojira.

On s'identifie d'autant moins avec Godzilla dans Godzilla (1998). Déjà pour des raisons de budget, parce qu'on avait vu mieux juste avant et que le cinéma de grande audience perdait alors un peu de ses moyens. Les acteurs sont clairement de seconde zone et n'encadrent aucun fil narratif à la hauteur de ce qui leur arrive. Le monstre est tellement grand et insurmontable qu'on voit revenir les têtes des acteurs avec une sorte d'agacement. Ce général d'armée ou commandant en chef m'a paru notamment de la platitude la plus arrogante et la plus niaise possible.

Mais il faut bien reconnaître qu'un aperçu du Gojira de la version japonaise (maquettes d'hélicoptères, immeubles en carton sur fond de feu) donne envie d'en goûter un peu plus dans la version américaine ; c'est malheureusement vite absurde, puisqu'au lieu de détruire New York comme toute l'exposition en formule la menace, Godzilla se balade tranquillement entre les immeubles déjà évacués, comme si c'était sa ville ; il est sympa, il a envie de visiter. Quelques idioties parviennent même à l'apprivoiser : il suffit de ne pas bouger (le spécialiste du nucléaire qu'est Matthew Broderick s'y connaît), ou de lui livrer toute prête une centaine de tonnes de poissons ("It works !" doit être prononcé de temps en temps). L'intérêt peut-être de cette version assez ratée, c'est son réalisateur. Roland Emerich n'est pas n'importe qui. Il y a dans Godzilla un certain humour des détails, humour un peu nul si l'on veut, parfois assez insistant, parfois juste de détail. La première scène de Matthew Broderick le montre balbutier quelques secondes entre son croate et son anglais (puisqu'il s'est porté volontaire pour aller ratisser Chernobyl), puis dire "Ah shit!" et pour le reste du film parler un anglais parfait. Beaucoup d'éléments aussi peu nécessaires jonchent le film et lui donnent du crédit. Par la suite ce sont des personnages maladroits qui font un geste cocasse, un gradé qui éternue dans sa main juste avant de la tendre. On comprend qu'Emerich aime raconter les ascensions, les montées de pouvoir, les actes héroïques comme les profits personnels. Il s'attache à la personnalité du "gentil", de la "gentille" pour contrecarrer cette dialectique, comme les incarnations parfaites du mérite : le gentil savant a été viré du projet, il est récupéré par les Français (Jean Reno et sa troupe, aurait-on pu trouver pire) au fil desquels il découvrira une amitié sincère (?) et la garantie d'être reconnu-compris-aimé à la fin ; la gentille reporter-to-be diffuse la vidéo du savant, mais elle se fait piquer le sujet par son patron diabolique ; elle finira tout de même par décrocher la chance de sa vie en allant jusqu'au bout de son erreur et en la réparant. Le système de châtiments et de rédemptions dans Godzilla répond d'ailleurs à un pur diktat hollywoodien, établi depuis longtemps et qui persévère encore aujourd'hui.

James Whale devait bien se marrer, lui, dans le Hollywood des années 30.

Wednesday, May 12, 2010

Arabesque

L’arabesque est une figure dont le cinéma n’a qu’assez peu exploré les capacités de transcription mécanique. Figure peinte, elle apporte, mise en mouvement, une confirmation d’elle-même ; un redoublement certes, mais dont il est justement audacieux d’évaluer l’écart. Ainsi dans un plan extrêmement lointain et aérien de Lawrence of Arabia, Lawrence sorti de la Fournaise qu’il avait bravée en martyr jusqu’à l’heure la plus insoutenable de la journée se fait accueillir par son guetteur en un enroulement de la trajectoire de son chameau à l’encontre de son maître, dans une manière presque ralentie d’entourer l’autre en l’élargissant. Certainement une bonne façon de souligner l’arabesque. D’autant plus grandiloquente que son modèle l’est, la technique utilisée s’affiche avec ironie, avec une légère désinvolture, parce que si sûre d’elle-même, si farouchement arnachée à sa musique impeccable, si sûre de l’effet qu’offre la lumière du sable, si consciente d’elle-même en tant que tableau. Une fois tous ces scupules affranchis, il n’est plus besoin de craindre l’interprétation : elle n’est plus la même. Dès lors, d’ailleurs, lorsqu’on compare tout de même la somme énigmatique et antidatée des Sept piliers de la sagesse avec le trajet par flèche sur un parchemin du film, on maintient tout de même sa légitimité au film, qui par ses propres moyens a lui aussi réussi à mettre en mouvement une forme immobile pour créer des arabesques. La coïncidence dans ce nom de la figure de style et des lieux narratifs n’est peut-être pas à prendre au pied de la lettre. L’emprise de mouvement est après tout une image de l’homme qu’ont pu agiter toutes formes de dynamiques. Le fait même des légendes, des Sagen, étant un phénomène de cycles, d’années, de rumeurs constituées, l’effet de bouger s’en trouve justifié. L’effet de bouger des ombres sur le mur du palais d’Ivan le Terrible d’Eisenstein est ainsi entièrement signifiant : il y a la même fuite des années dans le mouvement décrit par l’image que dans les années elles-mêmes. Un effet, comme d’autres plus aisés finalement, de raccourci du temps. La technique a ses secrets.

Tuesday, May 11, 2010

Hummus w/ Garam Masala spice mix, Fresh


Hummus is great for experimenting with different flavors. As a base its fairly mild with a nice smooth texture and so adding spices, herbs, or other aromatics can make it taste of almost anything while still maintaining the nice background of lemon, garlic, and rich tahini. Whether you like to dip it, plate it, or lick it off your favorite Mediterranean-tanned abdomen, hummus is a great and versatile dish. The Mediterranean, however, is a big place. And for every abdomen you find there, there is probably a different recipe. For instance, some don't soak their beans. I do. Others don't peel the little creepy skins. I do. Some use canned beans. I definitely do not (the virtues of dried over canned beans cannot be overstated for this recipe). Some use only olive oil or only water in their hummus. I prefer a mix of both. I prefer a spicy, lemony hummus, others like theirs to be a bit milder. Conclusion: it takes a village.

When I make hummus, I almost never measure anything. Today, dear readers, I tried to measure more carefully in order to create some kind of base recipe. While it worked a bit at the beginning, by the end I had forgotten and was just kind of tossing in salt and spice willy-nilly. And so, for the most part, the measurements are an approximation. Feel free to experiment on your own with my recipe!

1.5 c dried garbanzo beans (chick peas)
1.5-2 c water, reserved from boiling garbanzos
6 cloves of garlic, minced
3-4 lemons, juiced
1/3 c tahini
1/4 c olive oil
2 tsp garam masala spice mix
1 tsp ground cumin
1 tsp cayenne pepper
salt, lots of it, to taste

  1. Soak the beans overnight in a large container with lots of room and lots of water. The beans will expand about 2.5 times Note: Some say that this step may be omitted traded for a longer cooking time, but in the interest of saving energy and time the next day, an overnight soak isn't too much to ask. Anyways, it makes my kitchen feel more authentic when there are things soaking on the counter.
  2. When the beans have soaked for a long time, drain and rinse, and bring them to boil in a large pot of well-salted water. When the water begins to boil, cover and bring the flame down to low. Simmer for about 1.5 hours, or until the beans are easily squished under-finger. If foam creeps you out, you may remove it as it will form on top of the water. I do I  know exactly what the foam is all about, but I generally ignore it and have so far suffered no consequences.
  3. While beans are cooking, you can prep the other ingredients, or check you email, or do whatever you like. I ate breakfast. When yours beans are done, drain them and remove the seed coats. Remember to reserve the cooking liquid as it will impart great flavor to your end result. Note: although technically removing the seed coats is optional, the end result will be much smoother and, as an added bonus, will not make you fart. This is a very tedious process, however, so I recommend listening to a Fresh Air podcast while you do it. There is nothing like Terry Gross' prodding questions to get you in the mood to peel.
  4. Pour tahini, lemon juice, and garlic into the bowl of a food processor (preferred over blender) and run that blade. pour in cooked, peeled garbanzos, alternating with reserved water and olive oil to make the mixture as liquidy as you prefer. You may not use all of the water or olive oil. Note: I love tahini and so I put a lot in when I make hummus, probably more than what I wrote above. For people that profess not to like it, I would say that you haven't tried a good brand. Although tahini is very simple ingredient, composed of ground sesame seeds, for this recipe it is important to find tahini made from hulled seeds as opposed to unhulled seeds. Unhulled tahini can be very bitter while the hulled version has none of the bitterness, just the delicious roasted flavor of the sesame seeds. Unfortunately, most tahini brands do not say on the container whether or not the seeds are hulled. I like to use a brand called Joyva. It is by far the best tahini that I have tasted and comes in a cool-looking container. Check it out.
  5. Finally, add your spices and salt. In order to get the flavor exactly where you want it, it's a good idea to add these and let the hummus sit in the fridge for a while so the flavors can concentrate and combine. I added mine and then let it sit for about 30 minutes after which the flavors were much more intense. It would be truly tragic to oversalt your hummus because there isn't much you can do to it beyond adding more beans!
  6. Pour on a plate, swirl with olive oil, and sprinkle with cumin. Serve with bread, toasted pita, and/or abdomen. 
Sorry for all of the asides. I can't seem to get through a post these days without a million parenthetical statements. O well. Hope you enjoy!

Monday, May 10, 2010

Julius and Augustus

Caesar, that is. Caesar Salad. Today, prompted by the new contest posted at food52 and foodtistically inspired by episodes of ATK that I was watching, I decided to test out some Caesar dressing recipes in order to find the best one. I began, of course, with my mother. For as long as I can remember, every Summer my Mom's Caesar Salad would reemerge from hibernation and blossom anew in my family's collective mouth. It was a joy. I also knew that she had a particular way of creating it. And so, with a little prying, she let me have it. Here is her recipe:










1 tsp dijon mustard
1 tbl worcestershire sauce
1 tbl vinegar or lemon juice to taste
1 dash tabasco
1 clove garlic
1 tsp anchovy paste

1 coddled egg







1/2 cup olive oil
1/2 cup grated parmesan

Step: Basically, you combine everything in the blender/food processor until you get to the egg, wherein lies the mystique of this recipe. What's a coddle? Aren't you not supposed to coddle your children or something? What happens when you coddle an egg? Does the chick end up spoilt? Explanations from my Mom and online research revealed that coddling basically refers to a process of softboiling, except that while softboiling indicates a fixed outcome (hard white, liquid yolk) coddling is variable. In this case, I only coddled for a minute. I swear.

For this recipe, all it involves is placing a room temperature (if it's too cold it could crack) egg in a cup and pouring over boiling water, leaving it for one minute, and then pouring over warm water until it's cool enough to handle. When you crack it and pour into the mixture the white will be runny and the yolk will be thicker. Whisk all of the ingredients together. Then pour the olive oil in drop by drop at first until the emulsion takes and then pour a light steady stream all the while whisking. Afterwards, drop in the grated parmesan and mix. It is important here to use dry, aged parmesan as it is primarily the parmesan that thickens the dressing.

I knew right away that I was going to like this dressing since it smelled like home even before adding the eggs. But how would other people like it? In order to provide an alternative for the taste test I whipped up another recipe right before dinner from one that somebody submitted on food52. The classic Caesar dressing uses a different method to create the dressing and is much simpler, only using six ingredients. This recipe was published here by user lastnightsdinner.

Caesar Dressing:
  • 2-4 fat cloves garlic
  • 4 anchovy filets
  • a big pinch of flaky sea salt
  • 2 egg yolks (reserve the whites for another use)
  • juice of half a lemon
  • 1/4 to 1/2 cup best quality extra virgin olive oil
Combine all ingredients except for oil in a bowl, whisk, and then whisk in the oil, very slowly at first, and then quicker as the emulsion takes. Serve with salad.


This dressing was much more like an aioli, and, in my fairly informed opinion, not really a Caesar dressing. I traded the lemon juice for champagne vinegar in order to provide a counterpoint and because I wanted to try it out and its lovely. 

It turned out thicker and spicier than the other (due to the abundance of garlic), but tasters (me, mostly) found that it lacked complexity of flavor. But maybe I'm biased. Anyways, Jeff and I made some salads and croutons (ACME Sour Loaf croutons to be exact) and performed the deed. We also served our salads with a delicious white wine called Uvaggio made from the Vermentino grape. Uvaggio is from Lodi and it's super good and of course it was purchased at Vintage Berkeley. The final recipe will be a combination of the two and will also represent a fundamental shift in the emphasis of the dish. Are you excited? I am. Stay tuned for more info. 

Space Oddities

À considérer la production récente de "space movies" à Hollywood, on aurait tendance à se demander, avec plus ou moins d'irritation : mais qu'est-ce qui se passe dans l'espace ? En effet, voyons voir : dans Event Horizon (1997) il ne se passe pas grand chose ; dans Pandorum (2009), pour ainsi dire rien. Juste les muscles de Cam Gigandet (le voyou qui fait basculer Marissa dans une vie dissolue dans The O.C.) à la minute 86.

Deux films pourtant qui bénéficient de ce qu'ils ne sont pas : des références. Tous ces autres films de l'espace, dans le sillage de Star Strek et de Star Wars, qui avaient et ont toujours quelque chose à dire sur l'espace. Par la suite, quelques objets oubliables quoique délirants : Total Recall, Starship Troopers... Voilà ! ça c'est du film de l'espace ! Sans rien dire d'Alien, évidemment.

Non, décidément, c'est inquiétant. Les space movies de demain seront-ils plus imaginatifs, plus poétiques et surtout plus compréhensibles ? Car le problème majeur d'Event Horizon, par exemple, c'est son scénario sans logique. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne comprend pas ce qui se passe ; mais tout est faussement complexe, la réalité est alternativement réelle et alternative, les personnages sont des images d'eux-mêmes (des projections hallucinatoires, ou autre jargon du même ordre) et, comme on dit, "le passé revient les hanter" de temps en temps, sous forme de jolies actrices qui sourient à travers leurs boucles blondes. Pareil dans Pandorum, d'ailleurs ; les souvenirs sont toujours ceux d'une jeune blonde souriante. Un indice quant au public visé.

Cette idée de mélanger réel et virtuel, de brouiller les temporalités ou les identités, pourtant, ça sonne bien. Qu'a-t-on fait de mieux, en matière de série sur l'espace, que Battlestar Galactica, qui fondait toute sa progression sur ces deux problèmes : "Qui est-on" et "Quand est-on"? Les luttes de pouvoir à bord du Galactica, seul vestige apparent de l'espèce humaine, traduisaient la condition d'une humanité menacée par la dérive éternelle vers l'oubli, par le grand vide de l'espace ; et si l'argument récurrent de la série était de "find Earth", c'était parce que l'homme a besoin d'une assiette stable pour comprendre qui il est. Quand à la temporalité, dans Battlestar Galactica, c'était de plus en plus compliqué et passionnant à mesure qu'on approchait de la fin ; et le dernier épisode nous emportait dans un vertige incroyable, à mille lieues d'où l'on pensait être.

Rien à voir avec l'"hypersommeil" dont les pitreries actuelles font leur beurre. D'ailleurs tout ce vocabulaire, tout ce décorum a fait son temps. Le plan initial qui longe le vaisseau pour bien montrer combien il est différent (et donc voisin) de tous les autres vaisseaux spatiaux qu'on a vu dans notre vie, il faudrait arrêter. Les deux ou trois héros qui se réveillent, de façon complètement arbitraire, après huit ans de sommeil, pareil : on connaît. Si au moins il y avait derrière de tels clichés une vraie nécessité, une vraie signification, comme dans The Planet of the Apes ou 2001: A Space Odyssey. Dans le premier, Taylor (Charlton Heston dans sa forme olympienne des années 70) se réveille après bien plus de huit années, mais il n'en sait rien, et le spectateur non plus ; il faut regarder le film, regarder les suites du film et compléter la série pour saisir entièrement le système temporel (magistral) dans lequel on nous a entraîné (bon, c'est du Pierre Boulle, aussi). Dans 2001, plus simplement, le sommeil comme toutes les autres activités des deux astronautes montre combien ils se reposent sur la machine, combien il lui font confiance et relâchent leur attention. Tandis que dans Pandorum (ah là là, Pandorum...), dès qu'ils sont réveillés, les deux personnages principaux s'agitent dans tous les sens : il faut comprendre, élucider, trouver des indices. Comme on s'en fiche, il faut multiplier les dangers, les risques ou les problèmes ("Do you hear me?" phrase favorite des scénaristes de Pandorum). Peu importe ensuite que la clé de l'énigme n'ait aucun sens ; en l'occurrence, des aliens tout à fait semblables à des humains, hormis leur nez (ils n'en ont pas) et leur instinct de mort surdéveloppé, apparaissent subitement et renversent le film dans le gore le plus insipide. Si on pousse l'effort d'interprétation jusqu'au bout (c'est optionnel), on comprend sans doute que ces aliens sont en fait les projections hallucinatoires des humains en proie à une confusion spatio-temporelle. Ah ! Maître-Mot : "confusion". Tout est confusion dans un vaisseau spatial, normal, on est dans l'espace. On peut s'autoriser toutes les confusions.

C'est bien le problème : personne n'est réellement fasciné par l'idée d'un film qui se passe entièrement dans un vaisseau spatial. Je me trompe ? Alien, d'accord. Star Trek, à la limite, d'accord (dans mon souvenir, ils passent quand même assez souvent d'une planète à l'autre). Ailleurs, le vaisseau n'est pas le but, c'est le moyen. Et c'est bien normal : tout de même, à part une carcasse pleine de boutons, de cables et de couloirs vides, un vaisseau spatial, ce n'est pas grand-chose. Il y a une salle des contrôles en forme d'amphithéâtre, avec au mieux un capitaine charismatique (Battlestar Galactica, Star Trek), au pire un vieux débris qui s'avère être la clé du mal : Sam Neil (Event Horizon), Dennis Quaid (Pandorum). Ni l'un ni l'autre ne me tiennent vraiment à coeur, mais j'ai pitié de leur erreur de jugement ; comment accepter de jouer ce type vieillot, agressif, sottement génial (Neil) ou irrémédiablement fatigué (Quaid) ? Qu'y a-t-il de séduisant dans des rôles pareils ? Du reste, n'en parlons plus ; ce sont des films épuisés, sans intentions, sans beauté, sans histoire. Des carcasses, eux aussi.

Sunday, May 9, 2010

Recent food adventures


My last post was meant to be an update about what I have been eating recently, but instead it turned into a rant about chefs on the Food Network. I guess I just needed to get it out my system, sort of like what happened with those weird carnitas tacos I had the other day. Fortunately, my eating of late has agreed with me much better. Here's what it was:



Chicken with Creamy Fennel Sauce and Rice Pilaf
I just finished the leftovers of this today at work. Let me tell you, it was great. I was looking for something to go with the delicious Haut Marin white wine from the Côtes de Gascogne region that I got at my favorite neighborhood wine store, Vintage Berkeley. So I searched rather open-endedly for "white wine recipe." As you know, or are about to find out, I love sauces, any kinds really, nice saucy sauces that just beg for a good dipping. And I was in the mood for a creamy one and so when this was at the top of the list, I looked no further. I love fennel for its crunch, yet subtle spiciness and pungent aroma, and I also like the marriage of nutmeg and cream, a common combination in French cooking. And the herbes de provence seemed like a stroke of genius. So I decided to try it, with my own modifications of course. The wine was great, super dry and tart. It puckered my tongue and reset my palate for the onslaught of each creamy spoonful of creamy, ricey, warm, chickeny goodness. The original recipe called for cream cheese and also for using either half and half or cream. When I use cream in a sauce, I always end up adding milk at the end anyways since it comes out too thick. Since my recipe was going to involve cooking the chicken in the sauce at the end it was definitely going to have to be the latter so that my sauce wouldn't coagulate. Also, I couldn't really justify buying a whole container of cream cheese just to use one tablespoon of it. So I omitted it. I thought about using feta instead, since I have some in my fridge, but finally decided on parmesan instead, leaving the feta's strong flavor for another sauce. For sauces I always try to use the same pan in order to preserve the flavors of all the different ingredients. Its kind of a juggle, but it's worth it in the end. Hope you enjoy!



Ingredients


1 tbls. vegetable oil
Chicken Thigh and drumstick, or whatever pieces you want
2 fennel bulbs
1 shallot
2 cloves of garlic, minced
3 tbsp. butter
2 tbsp flour
1 cup dry white wine, Haut de Marin
2 cups 1/2 and 1/2
1/2 tsp herbes de provence
pinch of freshly grated nutmeg
salt and pepper to taste
1 tsp sugar
grated parmesan, to taste
1 tbls. butter
2 c. long-grain white rice
3 c. water
1 tsp salt




1. In a large skillet, sear chicken pieces on medium-high heat in a tbls. of vegetable oil 5-8 minutes on both side until each side is brown and crispy. Remember not to crowd the pan. Remove from heat and reserve on a plate.
2. In the meantime, chop the fennel into short 1/4 inch strips, cut down the side of the shallot and then slice into rounds, and mince the garlic. See Note on chopping fennel bulb
3. When the chicken is out of the skillet, add 1 tbls. butter and sauté the fennel, garlic, and shallot together until they are translucent, but not soft! (about five minutes) Then remove them from heat and reserve.
4. Turn the heat to medium-high and add the remaining butter and flour to the mixture in order to make a quick roux. Make sure to stir constantly so as not to burn the flour! Do this for about 5 minutes or until the color of the roux is light brown.
5. Remove from heat and allow to cool slightly. Add the wine (room temperature) to the mixture, slowly, stirring to scrape up and dissolve solids from the bottom. Then, add the half and half, reserved vegetables, herbes de provence, and freshly grated nutmeg (careful with this ingredient because the flavor of nutmeg can be overwhelming. Finally, add the chicken. Cover, and allow to simmer for 15-20 minutes, or until the chicken is cooked through.
6. At this time, in another pan, saute the rice in 1 tbls. of butter for 3 minutes or until the rice is golden brown. Then, pour over water, add salt, and bring to a boil. When water is boiling, reduce heat to low and cover tightly. Cook for 15 minutes and then turn off the heat and allow the rice to continue steaming for 15 more minutes. It is very important not to take off the lid!
7. When all is done, serve the chicken in its saucy, goodness with the rice, and perhaps, a steamed vegetable or light salad. And of course, a glass of your tasty, tangy white wine on the side and enjoy!

Serves two + leftovers!



Note on chopping fennel bulb: Fennel is an oft-forgotten aromatic, but it's oh-so-good. Special thanks to the internet for these fennel-chopping directions. First, remove fronds and stalks from the bulb. Quarter the bulb lengthwise and then, cutting diagonally toward the bottom, remove the hard core from the bulb. Then chop widthwise up the quarters to achieve the thin, short strips look.

Saturday, May 8, 2010

"Love your zombie!"

Le zombie au cinéma a une histoire et une longue iconographie derrière lui. On le reconnaît facilement par sa gestuelle, au pire par ses yeux, puisqu'il n'en a plus. Dès lors que dire de plus sur les zombies? le principe absolu selon lequel un zombie appelle un film d'horreur a fait son temps depuis Evil Dead, ou même, dans une acception élargie du zombie, depuis The Village of the Damned. Aujourd'hui, il se fissure de plus en plus à mesure qu'à défaut de ne pas faire peur, le zombie est tout de même devenu à l'écran un compagnon sympathique qu'on regarde agir avec enthousiasme. Comment pourrait-on s'écrier avec autre chose que du plaisir dans la voix : "Oh ! un film de zombie !"

La bonne surprise vient donc quand ce n'est pas un film de zombie, c'est-à-dire un film d'horreur. Deux possibilités : le faux documentaire, soit à l'anglaise (Dead Set, 28 days later) soit à l'espagnole (Rec), pour le mélange réalité/fiction à exploiter ; mais on reste dans l'esprit du film d'horreur, puisque le zombie fait peur. Ou alors, le film transgenre, et à ce titre deux exemples : Jennifer's Body et Otto;or up with Dead People.

Dans ces deux films, le parti pris de se détacher de la catégorie "Horreur" se traduit par l'invasion à l'écran d'un ou de plusieurs autres genres. Dans Jennifer's Body (2009), c'est surtout l'ambiance du teen-movie qui s'impose partout, et qui subtilement affaiblit la gravité de la situation : Jennifer est devenue une succube, elle mange tout le monde autour d'elle. Comme elle est aussi en plein âge de popularité et que manger la rend plus belle, l'importance de la faute lui échappe. Du coup, elle n'est plus effrayante ; d'ailleurs comment Megan Fox pourrait-elle être effrayante ?

Dans Otto; or Up with Dead People (2008), la confusions des genres est plus marquée : l'équipe du tournage de Up with Dead People, sorte de collectif avant-gardiste mené par une gourou thanaturge, assemble des séquences fragmentaires qui, tour à tour, forment un film porno gay, un muet des années vingt (on est à Berlin), un "documentaire" sur Otto lui-même ; et d'autres images encore, dans lesquelles Otto reste toujours le même, zombie parmi les acteurs ; si bien qu'on doute parfois de l'univers de référence de tel plan : est-on dans le film, dans le film-dans-le-film, dans l'après-tournage ? Otto est un personnage qui n'appartient à aucun fil narratif entier ; il passe mais n'est personne, il n'a pas d'histoire à intégrer.

Ainsi on en arrive à la description minimaliste du zombie : quel est-il, quelle est son errance. Comment perd-il son temps à marcher sans but. Otto est tout pardonné d'être un zombie : on aurait envie de le laver. On obtient quelques images de son passé d'être vivant, et il est clairement navrant de comprendre la vie qu'Otto a laissé en devenant un mort. C'était le bonheur, il était jeune et beau.

Jennifer, au contraire, n'en finira jamais d'être jeune et belle : son histoire, son devenir s'est figé quand elle est devenue succube. Elle représente désormais une force de vie et de corporéité insatiable, réjouie particulièrement de goûter la chair des garçons. Si Otto a de son côté beaucoup de sexualité à apprendre pendant son parcours, il ne mange certainement jamais avec beaucoup de concupiscence ; les lapins, les chats lui laissent des baves de sang qu'il traîne dans la poussière des entrepôts : il n'est pas fashion.

On comprend dans Jennifer's Body qu'un choix incombe à Jennifer : elle peut manger qui elle veut (tout son neighborhood en fait les frais), mais son corps sera d'autant plus incroyable qu'elle lui aura offert des nourritures de choix. Ainsi l'instinct de mort et l'instinct sexuel se disputent l'histoire, et le mélange de genre acquiert une logique. Dans Otto, la dialectique est plus tortueuse, notamment parce que c'est un film de Bruce LaBruce. La "résonnance" queer bourdonne de partout, court-circuite les interprétations et les symboles, pose des métaphores ambiguës. La voix de la réalisatrice de Up with Dead People raconte une réalité historique tout autre que celle qu'on connaît : les zombies sont, peut-être pas ordinaires, mais répandus. Ils ont développé des compétences physiques ; ils ont un appétit sexuel. Ils se sectorisent et prolifèrent selon un schéma particulier : ce sont des zombies gay. (On est à Berlin).

Otto, lui, semble avoir perdu tout penchant sexuel ; une scène au début du film le montre dans le métro, assis en face d'une femme clairement dégoûtée par son odeur, et qui dans sa vision de zombie lui fait des clins d'oeil aguicheurs. A-t-il acquis la connaissance d'une autre vérité des sentiments humains, voit-il la pensée interne des gens se refléter sur leur corps ? On ne sait pas tout ce qui se passe dans la tête d'Otto, qui vibre en permanence de toutes les ondes magnétiques présentes dans son secteur. Son lien à l'être humain est un peu confus. Son identité de zombie gay, qui ne fait pas de doute selon l'historique de la narratrice, ne semble pas lui apparaître avec évidence ; deux autres zombies pourtant viennent s'exhiber devant lui : il ne part pas, mais il ne fait rien. On ne sait pas ce qu'il regarde. Il peut rester une nuit entière dans le noir, à regarder l'heure sur un réveil, pendant que dans son esprit repasse la vie passée. Jennifer a plus de chance, elle n'est pour ainsi dire pas morte ; ou si elle est morte, ça ne se voit pas. Elle a donc besoin d'être stoppée, tandis qu'Otto pourrait finir par s'assimiler à son environnement ; à la fin du film, on le voit, inquiet et pressé, longer un mur couvert de peintures et de messages (on est à Berlin). Otto se trouve à tous les endroits de la sphère humaine, à tous les moments de l'histoire : il est toute possibilité de mort, même une mort sentimentale. En effet, son existence même de zombie est la personnification, si l'on peut dire, d'une rupture qui a eu lieu dans sa vie : ainsi sa découverte du plaisir gay en tant que zombie correspond aussi à une reprise en main sentimentale, comme on sort d'un deuil ou comme on jette les photos d'un être aimé.

Évidemment, le zombie gay ou la zombie bimbo, il fallait le faire : c'est l'évolution naturelle du zombie de base. Si on s'écoutait, on aurait déjà Un Zombie au Sénat et Danse avec les Zombies (comédie musicale sur la guerre civile américaine, où les Indiens reviennent en zombies pour se venger du massacre). Déjà les histoires de zombies se mêlent de littérature : Pride and Préjudice and Zombies (2009), titre alléchant, indique l'envie d'un réinvestissement culturel par l'esprit du temps. Et l'esprit du temps, c'est une certaine, comment dire, "blaséification" (oh oui, pointille-moi ça en rouge) de notre univers culturel de référence. Pour s'en convaincre, un dernier exemple : American Zombie (2007). Là, dans une ambiance très "documentaire éclairé sur la société telle qu'elle est", on fait parler la communauté zombie, on apprend sa diversité, ses détresses, ses espoirs ; plus question une seconde d'avoir peur, le zombie ne se différencie des autres que par son discours, parce qu'il explique ce que c'est qu'être un zombie au quotidien – autrement, il a l'air tout à fait comme vous et moi. On touche donc aux limites du concept : le zombie intégré, adapté à la société humaine qu'il est revenu habiter après sa mort, sans que personne se formalise. On n'est même plus dans un film transgenre : on a simplement quitté, radicalement, l'univers de référence du sujet traité. Dès lors, le zombie est tour à tour sympathique, pathétique, politique, névrotique ; il fait ce qu'il peut de sa vie, il a son job comme tout le monde, il a souvent des capacités artistiques (sujettes à caution). On finirait par n'avoir plus besoin de le filmer, car le film devient presque ennuyeux. Heureusement qu'avec les zombies on peut toujours s'attendre à ce que la suite du film tourne au cauchemar.