Saturday, May 8, 2010

"Love your zombie!"

Le zombie au cinéma a une histoire et une longue iconographie derrière lui. On le reconnaît facilement par sa gestuelle, au pire par ses yeux, puisqu'il n'en a plus. Dès lors que dire de plus sur les zombies? le principe absolu selon lequel un zombie appelle un film d'horreur a fait son temps depuis Evil Dead, ou même, dans une acception élargie du zombie, depuis The Village of the Damned. Aujourd'hui, il se fissure de plus en plus à mesure qu'à défaut de ne pas faire peur, le zombie est tout de même devenu à l'écran un compagnon sympathique qu'on regarde agir avec enthousiasme. Comment pourrait-on s'écrier avec autre chose que du plaisir dans la voix : "Oh ! un film de zombie !"

La bonne surprise vient donc quand ce n'est pas un film de zombie, c'est-à-dire un film d'horreur. Deux possibilités : le faux documentaire, soit à l'anglaise (Dead Set, 28 days later) soit à l'espagnole (Rec), pour le mélange réalité/fiction à exploiter ; mais on reste dans l'esprit du film d'horreur, puisque le zombie fait peur. Ou alors, le film transgenre, et à ce titre deux exemples : Jennifer's Body et Otto;or up with Dead People.

Dans ces deux films, le parti pris de se détacher de la catégorie "Horreur" se traduit par l'invasion à l'écran d'un ou de plusieurs autres genres. Dans Jennifer's Body (2009), c'est surtout l'ambiance du teen-movie qui s'impose partout, et qui subtilement affaiblit la gravité de la situation : Jennifer est devenue une succube, elle mange tout le monde autour d'elle. Comme elle est aussi en plein âge de popularité et que manger la rend plus belle, l'importance de la faute lui échappe. Du coup, elle n'est plus effrayante ; d'ailleurs comment Megan Fox pourrait-elle être effrayante ?

Dans Otto; or Up with Dead People (2008), la confusions des genres est plus marquée : l'équipe du tournage de Up with Dead People, sorte de collectif avant-gardiste mené par une gourou thanaturge, assemble des séquences fragmentaires qui, tour à tour, forment un film porno gay, un muet des années vingt (on est à Berlin), un "documentaire" sur Otto lui-même ; et d'autres images encore, dans lesquelles Otto reste toujours le même, zombie parmi les acteurs ; si bien qu'on doute parfois de l'univers de référence de tel plan : est-on dans le film, dans le film-dans-le-film, dans l'après-tournage ? Otto est un personnage qui n'appartient à aucun fil narratif entier ; il passe mais n'est personne, il n'a pas d'histoire à intégrer.

Ainsi on en arrive à la description minimaliste du zombie : quel est-il, quelle est son errance. Comment perd-il son temps à marcher sans but. Otto est tout pardonné d'être un zombie : on aurait envie de le laver. On obtient quelques images de son passé d'être vivant, et il est clairement navrant de comprendre la vie qu'Otto a laissé en devenant un mort. C'était le bonheur, il était jeune et beau.

Jennifer, au contraire, n'en finira jamais d'être jeune et belle : son histoire, son devenir s'est figé quand elle est devenue succube. Elle représente désormais une force de vie et de corporéité insatiable, réjouie particulièrement de goûter la chair des garçons. Si Otto a de son côté beaucoup de sexualité à apprendre pendant son parcours, il ne mange certainement jamais avec beaucoup de concupiscence ; les lapins, les chats lui laissent des baves de sang qu'il traîne dans la poussière des entrepôts : il n'est pas fashion.

On comprend dans Jennifer's Body qu'un choix incombe à Jennifer : elle peut manger qui elle veut (tout son neighborhood en fait les frais), mais son corps sera d'autant plus incroyable qu'elle lui aura offert des nourritures de choix. Ainsi l'instinct de mort et l'instinct sexuel se disputent l'histoire, et le mélange de genre acquiert une logique. Dans Otto, la dialectique est plus tortueuse, notamment parce que c'est un film de Bruce LaBruce. La "résonnance" queer bourdonne de partout, court-circuite les interprétations et les symboles, pose des métaphores ambiguës. La voix de la réalisatrice de Up with Dead People raconte une réalité historique tout autre que celle qu'on connaît : les zombies sont, peut-être pas ordinaires, mais répandus. Ils ont développé des compétences physiques ; ils ont un appétit sexuel. Ils se sectorisent et prolifèrent selon un schéma particulier : ce sont des zombies gay. (On est à Berlin).

Otto, lui, semble avoir perdu tout penchant sexuel ; une scène au début du film le montre dans le métro, assis en face d'une femme clairement dégoûtée par son odeur, et qui dans sa vision de zombie lui fait des clins d'oeil aguicheurs. A-t-il acquis la connaissance d'une autre vérité des sentiments humains, voit-il la pensée interne des gens se refléter sur leur corps ? On ne sait pas tout ce qui se passe dans la tête d'Otto, qui vibre en permanence de toutes les ondes magnétiques présentes dans son secteur. Son lien à l'être humain est un peu confus. Son identité de zombie gay, qui ne fait pas de doute selon l'historique de la narratrice, ne semble pas lui apparaître avec évidence ; deux autres zombies pourtant viennent s'exhiber devant lui : il ne part pas, mais il ne fait rien. On ne sait pas ce qu'il regarde. Il peut rester une nuit entière dans le noir, à regarder l'heure sur un réveil, pendant que dans son esprit repasse la vie passée. Jennifer a plus de chance, elle n'est pour ainsi dire pas morte ; ou si elle est morte, ça ne se voit pas. Elle a donc besoin d'être stoppée, tandis qu'Otto pourrait finir par s'assimiler à son environnement ; à la fin du film, on le voit, inquiet et pressé, longer un mur couvert de peintures et de messages (on est à Berlin). Otto se trouve à tous les endroits de la sphère humaine, à tous les moments de l'histoire : il est toute possibilité de mort, même une mort sentimentale. En effet, son existence même de zombie est la personnification, si l'on peut dire, d'une rupture qui a eu lieu dans sa vie : ainsi sa découverte du plaisir gay en tant que zombie correspond aussi à une reprise en main sentimentale, comme on sort d'un deuil ou comme on jette les photos d'un être aimé.

Évidemment, le zombie gay ou la zombie bimbo, il fallait le faire : c'est l'évolution naturelle du zombie de base. Si on s'écoutait, on aurait déjà Un Zombie au Sénat et Danse avec les Zombies (comédie musicale sur la guerre civile américaine, où les Indiens reviennent en zombies pour se venger du massacre). Déjà les histoires de zombies se mêlent de littérature : Pride and Préjudice and Zombies (2009), titre alléchant, indique l'envie d'un réinvestissement culturel par l'esprit du temps. Et l'esprit du temps, c'est une certaine, comment dire, "blaséification" (oh oui, pointille-moi ça en rouge) de notre univers culturel de référence. Pour s'en convaincre, un dernier exemple : American Zombie (2007). Là, dans une ambiance très "documentaire éclairé sur la société telle qu'elle est", on fait parler la communauté zombie, on apprend sa diversité, ses détresses, ses espoirs ; plus question une seconde d'avoir peur, le zombie ne se différencie des autres que par son discours, parce qu'il explique ce que c'est qu'être un zombie au quotidien – autrement, il a l'air tout à fait comme vous et moi. On touche donc aux limites du concept : le zombie intégré, adapté à la société humaine qu'il est revenu habiter après sa mort, sans que personne se formalise. On n'est même plus dans un film transgenre : on a simplement quitté, radicalement, l'univers de référence du sujet traité. Dès lors, le zombie est tour à tour sympathique, pathétique, politique, névrotique ; il fait ce qu'il peut de sa vie, il a son job comme tout le monde, il a souvent des capacités artistiques (sujettes à caution). On finirait par n'avoir plus besoin de le filmer, car le film devient presque ennuyeux. Heureusement qu'avec les zombies on peut toujours s'attendre à ce que la suite du film tourne au cauchemar.

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