Tuesday, May 4, 2010

Changement d'époque

Dans Single White Female (1992, "JF partagerait appartement" en français), la très croustillante Allie (Bridget Fonda, que l'on ne voit pas souvent, sinon en nymphomane sympathique et menacée dans Jackie Brown) est une sorte d'infographiste de mode freelance : on la voit principalement créer des vêtements par ordinateur, encore que les vêtements semblent se créer et se rajouter tout seuls sur des silhouettes en 3D : on n'y comprend pas grand-chose Mais c'est son métier, et elle est justement payée pour former un bureau à sa technologie. Une scène intéressante, au début du film, la montre en train de négocier le prix de sa mission : elle est très bonne dans ce qu'elle fait, mais sa notoriété n'est pas encore acquise. Elle ne s'en tirera pas avec le salaire espéré. Les "nouvelles technologies" n'étaient pas encore ce qu'elles sont.

Elle effectue pourtant un excellent travail, et tout le bureau est content. Enfin, "tout le bureau"... Malheureusement, dans ces films quelque peu minimalistes des années 90 (mais on pourrait sûrement dire la même chose des années 80), on n'est pas toujours convaincu par le réalisme des scènes. Ici, notamment, il n'y a de bureau que le directeur et une brave assistante d'une quarantaine d'années ; il faut imaginer le reste de l'entreprise bossant à plein régime, aux autres moments de la journée, dans ce grand espace vide. Toujours est-il que l'assistante en question finit par être formée, et Allie peut s'en aller, sa mission terminée. L'une de ses dernières manipulations informatiques apparaît bien étrange et bien ésotérique aux deux néophytes : elle crée un réseau intranet (si j'ai bien compris). Magique ! Cette femme est exceptionnelle.

Bien entendu, ce n'est pas du tout l'histoire du film, ce n'est que le prétexte. Il faut une occupation professionnelle à Allie pour ménager un peu la tension grimpante dans sa vie privée. On lui a sans doute choisi un peu au hasard, comme elle s'habille bien et qu'elle est de tempérament indépendant, un métier d'avenir. Le discours sur l'informatique n'est pas encore très clair (on n'est, après tout, qu'au début des années 90), mais le personnage en ressort explicitement moderne, citadin et débrouillard.

Or il y a dans le même film une autre technologie largement exploitée : le téléphone. Mais là encore, on est au début des années 90 : fil en spirale, répondeur à rembobiner, appareil intransportable. On peut encore tomber sur une ligne occupée ou, au contraire, attendre le coup de fil de quelqu'un sans autre moyen d'être informé. Le téléphone crée un espace opaque, où les mystères et les attentes de réponse s'accumulent. Impossible de joindre les parents de cette étrange colocataire, impossible pour ces parents de parler sereinement à leur fille. Le téléphone est un outil à efficacité variable. Dans la première scène, l'ex-femme de Sam, l'amant d'Allie, appelle au milieu de la nuit et révèle qu'ils ont couché ensemble la veille. Plus tard, c'est par un coup de téléphone qu'Allie comprend la mort de Sam. Le reste du temps, elle loupe ses coups de fil. Le téléphone n'est pas son meilleur allié.

L'ordinateur, en revanche, ça la connaît. Même si, indirectement, son travail lui cause des tracas (puisque ce fameux directeur d'entreprise va tenter d'abuser d'elle et la laissera s'enfuir en évitant de la payer), c'est Internet qui la venge le mieux : à distance, à la stupéfaction du couple patron-assistante (décidément tout le monde du travail résumé à sa portion congrue), les données patiemment accumulées durant toute une première partie de film s'effacent de l'écran; "It's happening on mine too!" s'écrie naïvement le violeur violé. On a peut-être crié au miracle dans les salles de cinéma des années 92 ; en 2010, la pauvreté du script en matière de technologie fait sourire. De nos jours, on a beau avoir lu Millenium, ça n'a pas l'air facile d'être un hacker.

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