Wednesday, March 10, 2010

Une journée de colère en Californie

Comment se déroule une manifestation aux États-Unis ? À première vue, c'est exaltant : on en discute pendant les cours, tout le monde est au courant, des mails circulent, un service de bus gratuits est mis en place. On sent bouillir la colère ambiante. Le jour même, on se lève tôt, on emporte une pomme, de l'eau, un appareil photo, un portable, un parapluie (articles précisés par la circulaire). Mais arrivé devant les bus, on ne voit pas grand monde ; peut-être est-on un peu en retard, les autres sont déjà en route vers Sacramento, pour manifester devant la maison du Gouverneur. Ceux qui sont encore là attendent. On ne se parle pas beaucoup, on n'a pas encore l'impression d'être "dedans". D'ailleurs une bonne dizaine de policiers surveillent la scène du coin de l'oeil (mais ils seront bien plus nombreux une fois à destination).

Précisons que la manifestation en question concerne les réductions de budget dans l'éducation supérieure de l'État de Californie : une manifestation d'ordre local, donc. Les "budget cuts" ont d'ores et déjà frappé les départements de langue vivante, et ils menacent sévèrement les matières dites d'humanités : histoire, littérature. Les réductions portent massivement sur les classes, ce qui ne convient ni aux professeurs, ni aux étudiants. Du reste, on peut mettre en doute la méthode même de la réduction de budget dans un secteur tel que l'université.

Devant le palais du Gouverneur, il y a effectivement du monde ; mais c'est encore ce qu'on peut appeler un groupe : une petite foule. L'effort a été mis sur les pancartes, les affiches géantes, le podium. Il y a un podium. Pendant deux heures, les intervenants se succèdent pour crier une rage parfois intéressante, parfois franchement épisodique, parfois mal comprise. À deux reprises, une chanson ; à trois reprises, un sketch ou "performance", entreprises souvent courageuses mais énigmatiques. On reprend des phrases qui éveillent l'enthousiasme ("Let's fight", "Yes we can"), on écoute un sénateur, un directeur d'étude ou une étudiante expliquer ce qu'ils savent et ce qu'ils pensent de cette situation dramatique. On est déjà tout convaincu, mais rien d'autre n'aura lieu : pas de rencontre avec Schwarzenegger (et puis quoi encore), pas de violence, pas d'engouement public (Sacramento, c'est un peu mort), pas de mesures concrètes. Si l'on tient vraiment à ce que les choses changent, on peut toujours participer à la nouvelle manifestation, toute semblable, qui aura lieu dans deux semaines.

Chacun a le droit de s'exprimer, "It's a country of free speech". Tout le monde s'exprime, mais il ne faut pas s'attendre à porter le fardeau d'un sujet plus grave, plus urgent, plus capital que celui du voisin. La manifestation est un phénomène d'ordre (pratiquement) privé aux États-Unis.

Dans l'allée qui mène au coeur du campus universitaire de UC Berkeley, la plus grande université publique de la Bay Area, on voit tous les jours des gens qui manifestent. Avec leurs pauvres moyens, bien sûr, et sur les sujets qui les intéressent. Tant que la police n'a pas à intervenir. Aussi, il paraît légitime de voir un portrait d'Obama affublé d'une moustache hitlérienne, et de lire en-dessous : "Impeach that" (message, du coup, assez confus). De même qu'il semble légitime à certains de faire lire à tout le monde, noir sur blanc : "Israel wants peace. Arabs refuse."

Bien sûr, ces tribunes n'ont pas de soutien, et on ne les revoit pas le jour suivant : d'autres les remplacent. Le but aura été seulement de faire entendre sa voix pour une matinée, pour deux ou trois heures. Mais, si personne n'est chassé, personne non plus n'est admis à la table des négociations. On arrive, on pose sa plainte, on peut faire un peu de bruit, mais on s'en va dans le calme.

Une autre vision de la démocratie...

No comments:

Post a Comment